Médias tunisiens: Entre le marteau de la crise et l'enclume des élites
Midi Show est revenu, ce vendredi 18 mars, sur la réalité de la presse et des médias, des défis et des solutions aux problèmes auxquels le secteur est confronté.
Le directeur exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens, Fahem Boukadous, a expliqué que les médias connaissent une crise structurelle multiforme, depuis des décennies, ajoutant que la transition démocratique a favorisé le chaos et le vide, en plus du contrôle gouvernemental et de celui des annonceurs sur les médias.
Il a souligné que la crise s'est aggravée après le 25 juillet, déclarant: "les régimes précédents ont exprimé leur intérêt pour les médias, mais après que Kaïs Saïed soit devenu président, ces derniers n'ont été présents ni dans la consultation électronique ni dans l'agenda présidentiel ou gouvernemental".
Il a considéré que le chef de l'Etat a poursuivi les mêmes politiques pour épuiser les médias.
La Télévision nationale semblable aux médias Nord-Coréens
Boukadous a reconnu que la colère populaire contre la presse est apparue dans tous les pays du monde, avec l'émergence du populisme politique parce que les masses considèrent les journalistes comme faisant partie du système de corruption, dirigé par des politiciens et des hommes d'affaires véreux.
Dans un autre contexte, Fahem Boukadous a souligné que la crise des médias est structurelle dans laquelle de nombreux aspects se croisent, de la formation à la publicité en passant par le contenu.
"C'est pourquoi le Syndicat et les professionnels du secteur se sont mis d'accord sur des politiques publiques pour sauver financièrement les institutions, afin qu'elles ne restent pas à la merci de l'autorité pour les contrôler", a-t-il indiqué.
Et d'ajouter: "Je ne blâme pas le secteur privé parce qu'il englobe, pour la plupart, des institutions petites et fragiles qui ne peuvent pas produire de bon contenu, d'autant plus que le marché publicitaire est limité, mais je blâme les médias publics financés par l'État... La question est de savoir où sont les programmes politiques qui éclairent l'opinion publique (...) La télévision nationale est devenue comme les médias nord-coréens", a-t-il soutenu..
Pour sa part, Sadok Hammami, professeur universitaire à l'Institut de presse et des sciences de l'information et chercheur en médias, a comparé les médias tunisiens à un corps qui souffre de maladies graves, nécessitant une intervention chirurgicale, reconnaissant que les problèmes médiatiques ne se limitent pas aux nominations.
Il a déclaré que la transition médiatique a échoué, tout comme le processus de transition. "Cet échec peut être l'une des raisons de l'expérience démocratique, assurant que la transition politique qui n'a pas réussi, a contribué à l'échec de la transition médiatique", a-t-il dit.
Hammami a appelé à la nécessité de réviser l'état détérioré des médias, à cause des élites politiques et des politiques publiques.
Il a ainsi estimé que le problème ne consiste pas seulement en l'absence de volonté, mais aussi en l'écchec "délibéré" à réformer les médias par les politiciens "parce qu'ils considèrent les médias comme un moyen de communication politique et cela a corrompu le secteur".
La publicité dominée par les lobbies et les partis
Quant au président de la Chambre syndicale nationale des radios privées, Kamel Rabbana, il a déclaré, dans Midi Show, que les médias "sont sur le point de prendre l'eau, que c'est un secteur qui est en train de disparaître et qui souffre d'un état clinique qui nécessite son sauvetage immédiat".
Il a estimé que les problèmes qui menacent l'existence des institutions médiatiques ne sont pas seulement matériels, mais incluent l'organisation du secteur dans son ensemble.
Et de poursuivre: "Le grand chaos auquel assistent les médias les pousse à exiger la réglementation du secteur, car nous avons le droit de profiter de la publicité publique et de réduire les prix excessifs imposés par l'Office national de transmission".
Le président du Syndicat des radios privées a, également, admis que la publicité était dominée par les lobbies et les partis. "Aujourd'hui nous faisons de notre mieux pour que les radios privées ne soient pas emportées par cette marée", a-t-il expliqué.
D'autre part, Kamel Rabbana a souligné que la précipitation des politiciens à s'attaquer au secteur des médias et à le contrôler en influençant la ligne éditoriale est devenue un danger qui affecte la pérennité de l'institution et fragilise le secteur.
"Les médias doivent ''vendre'' des programmes réussis et de qualité et les institutions privées ne peuvent pas nier qu'elles sont une entreprise commerciale", a-t-il souligné.
L'invité de Midi Show a appelé à la nécessité de réformer la publicité publique et de la répartir équitablement entre les médias en fonction des taux d'audience et d'encadrer la publicité privée dans le cadre d'une loi spécifique.